Appel à textes pour le numéro 25 de Sciences du jeu

Appel à textes pour le numéro 25 de Sciences du jeu

L’appel à textes pour le numéro 25 de la revue Sciences du jeu est ouvert. Son thème : «Les modélisations et médiations ludiques du travail».

Le dossier, coordonné par Emmanuelle Savignac se propose d’interroger le jeu quand il est mobilisé à des fins de reconstitution, de simulation ou de médiation dans le monde professionnel. Les auteurs désirant répondre à cet appel doivent envoye un résumé de leur proposition d’article avant le 13 juillet 2024. Présentation de l’appel à textes


Les modélisations et médiations ludiques du travail

Dossier thématique coordonné par Emmanuelle Savignac

Ce numéro propose d’interroger le jeu quand il est mobilisé à des fins de reconstitution, simulation ou médiation du travail. Ce dernier peut être tout autant ingénieur, scientifique, managérial, social, éducatif ou autre et peut prendre la forme de jeux de plateau, jeux de rôles, de stratégie, de simulations digitales, etc. L’idée est d’analyser les usages du jeu afin de questionner ce qui serait sa capacité singulière de symbolisation et de modélisation de l’activité et/ou de situations professionnelles à des fins d’analyse ou de pilotage de celles-ci. Il est aussi d’étudier le jeu et sa mobilisation en tant qu’expression du travail et de son processus.

Que permettrait ce dispositif singulier qu’est le jeu comme facilitant une mise au travail des individus ? Quelles sont les motivations qui conduisent celles et ceux qui travaillent à mobiliser sa forme ? Qu’est-ce qui du jeu – relations, structure, plasticité, lexique, etc. – le rendrait adéquat au fait de travailler, penser, analyser ou produire ? Considérons que toutes ces questions engagent de questionner les frontières de la classification parfois oppositionnelle et, sur certains aspects, paradoxale entre jeu et travail.

La spécificité des modélisations et médiations ludiques

La perspective proposée pour ce numéro de Sciences du jeu suit en premier lieu la suggestion batesonienne (Bateson, 1980, p. 246) d’interroger le jeu en tant que forme plus que contenu. Ce qui invite à penser le jeu dans la théorie des modélisations et modalisations et du cadre ludique que Gregory Bateson portera, suivi d’Erving Goffman. Saisir la dimension formelle des dispositifs conduit aussi, mais pas exclusivement, à approcher de manière analytique-critique le projet sous-jacent à la gamification, qui propose de transposer des éléments et dynamiques de jeu (game) à un contexte de non-jeu (Deterding et al., 2011). On se souviendra à ce propos du débat engagé par Gilles Brougère (2021) sur le fait de savoir si c’est le travail qui se gamifie ou si on a à faire au contraire à un processus de dégamification du jeu.

Il a souvent été souligné l’ambivalence du terme « modèle », à la fois objet référent et résultat de sa simulation. Cela impose de distinguer les processus visant à une représentation (modélisation), de ceux visant une production (« modalisation ») sur la base d’une situation initiale et pour toute autre chose que celle-ci. C’est ce que fait le jeu qui, en simulant, imitant, ritualisant des affrontements, etc. intègre la typologie goffmanienne des modalisations. Par cette distinction autour du terme de modèle, Goffman souligne l’opération de transformation entre l’objet ou la situation pris pour modèle et leur modalisation en signifiant la part sélective ou élusive ou grossie ou concentrée ou simplifiée ou complexifiée de toute réitération technique et de toute simulation. Ainsi le jeu engage un processus de transformation ou de transcription de la réalité (Goffman, 1991). En outre, Claude Blanckaert (2016, p. 422) avance que l’usage du modèle « affecte les procédures de connaissance autant que ses contenus ». Enfin, il donne à la représentation et à la compréhension une dimension supplémentaire.

Cet acte de transformation peut être pensé comme accru dans le jeu car potentiellement toléré ou encouragé, à rebours des attendus scientifiques de la modélisation. Il faudrait donc reconnaître ou créditer à l’usage de modélisations ludiques une potentialité productive issue de la manipulation même de l’objet par le modèle. Représenter, modéliser ou modaliser par l’expression ludique, soutiendrait la visualisation, l’intellection et l’expérimentation en donnant accès, par l’usage d’une forme subsidiaire de médiation (simulation, description, reconstitution, schématisation, objet formel, etc.) à une compréhension élargie ou « augmentée » des types, processus, relations, structures, etc. constituant l’objet ou la situation auquel le modèle se réfère.

Modéliser le travail par le jeu : penser les médiations ludiques, assumer les transformations, négocier sur les pertes, être au clair sur les « intentions »

Considérer ceci nous fait questionner ce que le jeu permet de comprendre ou dire du travail et ce qu’il, littéralement, est supposé mettre au travail. En effet, pourquoi faire jouer à des cadres d’entreprise le rôle professionnel qu’ils ou elles effectuent parfois depuis 20 ans ? Quels usages sont faits des jeux et qu’est-ce qui conduit à mobiliser jeux de plateau, Kappla, jeux vidéo et autres supports ou dispositifs ludiques pour penser voire permettre le travail, analyser ses conditions ou son contexte ?

Comme le pose Howard Becker dans Comment parler de la société :

Si l’on faisait – si l’on pouvait faire – une reproduction exacte de ce que l’on veut comprendre, une reproduction dont rien n’aurait été enlevé par rapport à l’original, on se retrouverait, en définitive, avec la chose elle-même. Et l’on ne serait pas plus avancé pour comprendre cet objet qu’on ne l’était avant de créer sa réplique. Ce qui montre bien que le but d’une représentation est de se débarrasser d’une bonne partie de cette réalité, afin d’y voir clair et de se concentrer uniquement sur ce qu’on cherche à savoir, sans se laisser distraire par ce qui nous est égal (Becker, 2009, p. 104-119).

Quelles sont les propositions offertes par la forme ludique sur ce qui est travaillé et quels sont les choix formalistes de la (re) présentation de l’activité par le jeu ? Qu’est-ce que le jeu pourrait permettre spécifiquement d’en comprendre, manipuler ou saisir ? Quels sont les choix d’éclipse du réel opérés dans et par le jeu ? Qu’est-ce que cette éclipse permet ou empêche dans le fait de penser, penser son travail ou la situation travaillée ? Comment les modélisateur·rices pensent le système de contraintes induit par le codage en modèle ? De la même manière, qu’advient-il de « l’intention » sous-jacente aux attendus instrumentaux du modèle et de ses conséquences ?

On peut aussi s’interroger sur la part de créativité et d’inventivité engagée pour penser cette hybridation qu’est la formalisation de la situation de travail par le jeu. Ainsi, quelles alliances interdisciplinaires la modélisation ludique occasionne-t-elle ?

Dire le travail par le jeu : un autre aspect de la médiation ludique

Un autre aspect de la symbolisation du travail par le jeu, qui cette fois-ci échappe au modèle mais participe d’une médiation sur comment dire son (le) travail, s’opère quand le terme de jeu est mobilisé pour désigner son travail ou certains aspects de l’activité. Quand avons-nous parfois l’impression de jouer quand nous travaillons à manipuler des objets comme à résoudre une équation ? Cela invite à interroger comment advient la pensée et la sensation de son travail comme un jeu et à rebours si et quand s’arrête cette pensée quand son travail est de jouer : le jeu est-il un travail comme un autre ? Quelle spécificité serait celle de la pensée voire du plaisir ludique émergeant lors d’une activité de travail ? Enfin, que dit le travail quand il s’exprime comme un jeu : que le jeu en est une valeur augmentée ? un glissement ? une subversion ? la même chose ? tout autre chose ?

Les chercheur·es qui s’intéressent au travail rencontrent depuis longtemps le jeu dans les pratiques et vécus de celles et ceux qui travaillent ce qui ne lasse pas de confronter la frontière jeu et travail. Dans les études de Michael Burawoy (1979), de Marie-Anne Dujarier (2015) ou pour prendre un autre exemple de Stéphane Le Lay (2013), s’expriment chez les individus au travail un jeu qui serait un recours contre l’ennui, la contrainte, la pensée des conséquences de son travail. Mais ces modalités, somme toute négatives car escapistes d’un travail dont on serait « sauvé » par le jeu, sont-elles les seules pour penser ce qui est dit par le jeu du travail ?

Les formations, les organisations, les professions encouragent-elles directement ou indirectement à ces médiations ludiques du travail ? A travailler en jouant ou bien à jouer à travailler ? Et quelles formes ludiques sont-elles privilégiées en référents au type d’activité ? (les échecs ? la stratégie ? le défi ? le rôle ? le jeu de piste ?…). Ceci interroge en particulier la pluralité des acteur·rices et de leurs contributions aux processus de ludicisation (Genvo, 2012 ; Bonenfant et Philipette, 2018).

Ainsi proposons-nous ici, à travers ces quelques pistes qui peuvent bien sûr être agrégées ou enrichies, de contribuer à l’exploration la plus large des médiations ludiques du travail.

Pour soumettre un article

Les auteur·rices désirant répondre à cet appel doivent envoyer à la responsable du dossier un résumé de leur proposition d’article. Ce résumé, à envoyer avant le 13 juillet 2024, ne doit pas excéder 5 000 signes (espaces compris).

Les articles doivent être envoyés aux responsables du dossier au plus tard le 15 janvier 2025 ainsi que les éléments demandés en fichier joint (le nom du fichier est le nom de l’auteur·rice) au format « .doc ». Ce fichier est composé des éléments suivants :

  • Le titre de l’article et le nom du (des) auteur(s) avec leur rattachement institutionnel et contact courriel.
  • Un résumé de 1 000 signes, espaces compris, en français et en anglais.
  • Une liste de mots-clefs (5 à 8) en français et en anglais.
  • L’article, d’une longueur de 25 000 à 50 000 signes, espaces compris, devra respecter les indications aux auteurs. Une autre version de l’article, entièrement anonyme (références, nom de l’auteur, etc.), devra également être jointe pour évaluation.
  • Une courte biographie du (des) auteur·rices.

Ces documents sont à envoyer par courrier électronique à Emmanuelle Savignac (emmanuelle.savignac@univ-paris13.fr).

Calendrier

  • 13 juillet 2024 : date limite pour soumettre une proposition (facultatif, mais recommandé).
  • Septembre 2024 : retour sur les résumés.
  • 15 janvier 2025 : date limite de réception des articles.
  • Avril 2025 : retour des avis après expertise en double aveugle.
  • 30 juin 2025 : date limite de remise des articles définitifs
  • Juillet/septembre 2025 : allers-retours de corrections avec les auteur·rices.
  • Octobre/novembre 2025 : relectures par les responsables de la revue et dernières modifications des textes.

Bibliographie

  • BATESON, G. (1980). Vers une écologie de l’esprit II. Le Seuil.
  • BECKER, H. S. (2009). Comment parler de la société : Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales. La Découverte.
  • BLANCKAERT C. (2016). Une civilisation des modèles ? Cartographie des représentations et Historiographie. In C. Blanckaert, J. Léon, et D. Samain (dir.), Modélisations et sciences humaines : Figurer, interpréter, simuler (p. 421-448). L'Harmattan.
  • BONENFANT, M., et PHILIPPETTE, T. (2018). Rhétorique de l’engagement ludique dans des dispositifs de ludification. Sciences du jeu, 10https://journals.openedition.org/sdj/1422.
    DOI : 10.4000/sdj.1422
  • BROUGÈRE, G. (2021). Paradoxes de la gamification. In S. Le lay, E. Savignac, J. Frances, et P. Lénel (dir.), La gamification de la société(p. 7-20). Iste Éditions.
  • BURAWOY, M. (1979). Manufacturing consent: Changes in the labor process under monopoly capitalism. University of Chicago Press.
    DOI : 10.7208/chicago/9780226217710.001.0001
  • DETERDING, S., DIXON, D., KHALED, R., et NACKE, L. (2011). From game design elements to gamefulness: defining “gamification”. In Proceedings of the 15th international academic MindTrek conference: Envisioning future media environments, 9-15.
  • DUJARIER, M.-A. (2015). Le management désincarné. La Découverte.
    DOI : 10.3917/dec.dujar.2017.01
  • GENVO, S. (2012). La théorie de la ludicisation : une approche anti essentialiste des phénomènes ludiques [communication]. Journée d’études « Jeu et jouabilité à l’ère numérique », Institut d'Arts et d'Archéologie, Paris.
  • GOFFMAN, E. (1991). Les cadres de l’expérience. Éditions de Minuit.
  • LE LAY, S. (2013). Des pratiques ouvrières ludiques aux dispositifs managériaux ludistes : vers une instrumentalisation du jeu dans le travail. La Nouvelle Revue du Travail, 2http://journals.openedition.org/nrt/702.
  • LE LAY, S., et PENTIMALLI, B. (2013). Enjeux sociologiques d’une analyse de l’humour au travail : le cas des agents d’accueil et des éboueurs. Travailler, 29, 141-181. https://www.cairn.info/revue-travailler-2013-1-page-141.htm.
    DOI : 10.3917/trav.029.0141

Document annexe

https://journals.openedition.org/sdj/6532

Crédit image :

Photo de Walls.io sur Unsplash


Share Tweet Send
0 Commentaires
Chargement...
You've successfully subscribed to Ludocorpus
Great! Next, complete checkout for full access to Ludocorpus
Welcome back! You've successfully signed in
Success! Your account is fully activated, you now have access to all content.